Aimez la Vérité
et la Paix
Editorial :
Du 28 au 30 mai 1999, un Symposium
à l’occasion des 50 ans d’existence du mouvement "Church and
Peace" a eu lieu près de Bâle.
C’est à la suite des
terribles expériences de la deuxième guerre mondiale qu’en
1949, les représentants et représentantes des Eglises de paix
historiques et des Eglises européennes se sont rassemblés, pour se
poser la question suivante : Comment, à l’avenir, les Eglises
pourraient–elles empêcher la guerre, au lieu de la justifier
théologiquement ?
Au cours des discussions lors des
conférences de Puidoux, il apparut qu’il ne s’agissait pas
seulement de traîter d’une question d’éthique mais de
s’interroger sur la forme et la façon d’exister de
l’Eglise elle–même. Quelle forme faut–il à
l’Eglise pour qu’elle devienne un lieu de réconciliation et
de partage , et pour que le principe de la non–violence active,
l’un des enseignements fondamentaux de la vie de Jésus, la conduise
à un service non–violent pour la paix ?
Pendant les 50 dernières
années, ce dialogue a abouti à la constitution d’un
réseau européen européen et oecuménique regroupant
les Eglises de paix historiques, des paroisses, des communautés
chrétiennes et des services pour la paix, qui depuis 1975, porte le nom
de “Church and Peace”.
Personne ne se doutait lors de la
préparation du Jubilé, que nous vivrions en cette fin de
siècle en Europe encore une guerre, en ex–Yougoslavie . Ainsi, le
thème de notre Symposium : “Aimez la vérité et la
paix” (Zacharie 8: 19b), devint–il bien involontairement d’une
actualité brûlante.
La présente documentation montre
que face à cette guerre, la recherche de la vérité et la
question de notre responsabilité en tant que chrétiens, ont
constitué l’accent essentiel du Symposium. Un bon
résumé de l’ensemble du Symposium est proposé
ci–joint par Ruth Winsemius. De plus, les résultats du
“carrefour” sont résumés sous forme de
thèses.
Dans sa prédication, Keith
Clements montra ce que signifie pour l’Eglise "aimer la paix" dans un
pareil conflit. Les expériences faites par lui à Belgrade en tant
que secrétaire général du de la Conférence
Européenne des Eglises, l’ont fait plaider en faveur d’un
oecuménisme qui ne choisisse pas la voie de la
facilité.
Vous trouverez enfin dans ce fascicule
la déclaration du Bienenberg, sur laquelle se sont engagés les
participants lors du culte, pour réaffirmer ensemble la position et
l’engagement des Eglises de Paix dans le contexte des
événements actuels.
Août 1999
Christian
Hohmann
Traduction : Blaise Amstutz &
Marie-Noëlle von der Recke
Déclaration du Bienenberg
Nous - chrétiens de nombreuses
églises et communautés - nous sommes rassemblés au
Bienenberg près de Bâle (Suisse) du 28 au 30 mai 1999 pour
célébrer le cinquantenaire du mouvement de Church and Peace
(«Église et Paix»).
C’est dans un contexte de crises
graves et de guerres dans de nombreuses parties du monde que nous nous
rencontrons. Nous sommes atterrés par les bombardements des pays de
l’OTAN sur la Yougoslavie et par l’expulsion de la population
albanaise du Kosovo menée par la Yougoslavie.
Marchant à la suite de
Jésus, nous apprenons ce que signifie vivre en tant
qu’Église de Paix. Cette vie et cette vision sont pour nous un
défi et une promesse et nous invitons tous les chrétiens à
y prendre part avec nous.
Selon notre expérience,
l’Église de Paix a cinq caractéristiques
essentielles:
1. Elle annonce
l’évangile de la Paix: Nous annonçons la Bonne Nouvelle
de la Réconciliation et de la Paix (2 Cor.5,19) par Jésus-Christ
qui est notre Paix (Eph.2:14). Nous avons reçu cette bonne nouvelle
gratuitement. Nous avons nous-mêmes besoin de cette Bonne Nouvelle et
nous l’offrons sans condition à tous ceux qui sont également
dans le besoin, à ceux surtout qui se sentent défavorisés
et exclus (Marc 2:17).
2. Elle accepte tout être
humain - même l’ennemi. Jésus-Christ nous apprend
qu’il faut aimer nos ennemis et prier pour eux (Matt.5:44) même si
nous sommes appelés à résister par la non - violence au
mal et à l’injustice qu’ils commettent. Nous-mêmes
étions les ennemis de Dieu (Rom.5:8) et demeurons impliqués dans
un monde de péché et de violence, mais Jésus-Christ nous a
réconciliés avec Dieu, les uns avec les autres, et avec tous nos
ennemis. Nous voulons jeter des ponts de compréhension et de paix vers
ceux que nous ou nos pays respectifs déclarent ennemis.
3. Elle refuse la violence. Nous
devons tout d’abord reconnaître notre propre violence et refuser
d’en faire usage personnellement ou de la justifier comme instrument de
pouvoir à quelque niveau que ce soit (familial, social, national ou
international). Nous nous efforçons d’apprendre et de mettre en
pratique les méthodes de transformation non-violente des conflits et de
promouvoir la formation à ces méthodes.
4. Elle s’engage auprès
des victimes de la violence. Nous sommes déterminés à
ne pas fermer les yeux sur les sacrifices sanglants engendrés par la
violence. De même que Jésus en son temps était auprès
des victimes de l’oppression et de la violence, nous aussi nous voulons
être auprès de ses victimes aujourd’hui. Nous voulons nous
efforcer d’être pour les opprimés des partenaires dignes de
confiance, même dans des situations dangereuses.
5. Elle vit la communauté et
la solidarité. Pour réaliser cette vision, nous avons besoin
les uns des autres, dans nos communautés, paroisses et assemblées
respectives et dans la communion avec les Chrétiens du monde entier.
Notre citoyenneté est dans «les Cieux» (Phil.3:20) et nous
sommes le Corps du Christ (1 Cor.12:27). C’est pourquoi tous les liens
ayant trait à la nationalité, l’ethnicité, la terre -
bien qu’ils aient leur importance - n’ont pour nous qu’une
valeur relative. L’Église de Paix cherche à être
l’expression sociale du monde nouveau voulu par Dieu. Ses
communautés vivent en contraste avec la société
environnante; en elles la justice, la paix, la miséricorde et la
vérité peuvent s’épanouir. Nous invitons chacun
à partager avec nous cette vision et à en découvrir la
réalité dans sa propre Église ou
communauté.
24 juin 1999
“Nous essayons d’être une lumière pour
l’humanité...”
“Je sais bien qui est la
vérité, mais je ne sais pas ce qu’est la
vérité”.
Lors de la rencontre de Church &
Peace au Bienenberg, le dernier week-end du mois de mai, la voix chargée
de soupirs de la serbe Jasmina Tosic s’est élevée dans le
bruit confus des voix comme un “Cantus Firmus”. Le Symposium
s’est tenu à l’occasion du 50me anniversaire de Church &
Peace. Des “artisans de paix” de différentes
nationalités se sont rencontrés au Centre de Formation du
Bienenberg en Suisse et ont partagé leurs expériences. Mais avec
le recul, se sont les participants serbes, venus directement de Belgrade pour
nous parler de “leur” guerre, une guerre dont peut-être
personne ne voulait, qui ont laissé l’impression la plus
profonde.
Incompréhension, peur,
incrédulité, et surtout l’angoissante question : Que sera
l’avenir ? Qu’arrivera-t-il à nos familles, à notre
peuple ? Serons-nous seulement encore en vie après-demain ? Un
étonnement incrédule d’avoir pu échapper à la
guerre pour un court temps, car demain il faudra bien rentrer - tout cela se
lisait dans les yeux des participants serbes et surtout dans les yeux de
Jasmina, une des deux coordinatrices de l’organisme “Pain de
Vie” (Bread of Life). Des bombes à Belgrades ? Jamais l’OTAN
ne le fera. Elle le croyait encore, lorsque les bombardements ont
commencé. Elle était juste en train de donner une interview au
téléphone à un correspondant américain (sic) sur la
situation de son pays. Son frère la secoua, lui prit
l’écouteur des mains, et dit à l’interlocuteur
américain. “Les frappes ont commencé”. Puis il coupa
la communication.
L’origine de Church &
Peace
Après 50 ans, Church & Peace
demeure un mouvement, un réseau d’églises de paix et de
groupes pacifistes dans les églises, et non une organisation.
Interrogé par une jeune “travailleuse pour la paix”, Wilfried
Warneck, un des membres de la première heure, a raconté comment
Church & Peace est né à l’initiative de quelques
américains (entre autres Zigler) et d’anglais après la fin
de la 2me guerre mondiale avec l’appui d’un mouvement semblable aux
Etat-Unis, où les thèses du mennonite Harold Bender avaient une
grande influence. C’est par la vie des disciples que le Royaume de Dieu
prendra sa forme. Jésus avait le souci des perdus, des pauvres.
C’est avec eux qu’il prenait ses repas. Jésus a aussi
enseigné qu’il faut aimer ses ennemis et ne pas utiliser de
violence - ni dans le cadre du sevice militaire, ni dans le cadre d’une
autre structure. Ce n’est qu’ainsi que peut naître une
communauté de paix qui se distingue des églises traditionnelles
qui se contentent avant tout de donner une base religieuse à une
société marquée par la violence. Les premières
années de Church & Peace - les conférences de Puidoux -
suscitèrent beaucoup d’intérêt parmi les
théologiens présents; jusque là pendant leurs
études, ils avaient entendu peu de choses positives au sujet des
Mennonites et des Quakers. D’après Wilfried Warneck, les
idées des Eglises de paix n’ont pas manqué
d’influencer les grandes Eglises et une évolution similaire put
être observée çà et là. La constitution
d’un réseau de contacts s’imposait.
C’est ainsi que pour le 50me
anniversaire de Church & Peace se sont rassemblés en plus des
représentants des assemblées mennonites (la moitié des
participants), des quakers, des communautés de base, des protestants
(entre autres de Roumanie et d’Ukraine), des catholiques (Karl Eilers, Pax
Christi International à Bruxelles), tout comme les soeurs de la
Communauté de Grandchamp (Suisse) et même quelques orthodoxes de
l’Europe de l’Est. Wilfried Warneck a regretté qu’il
n’y ait pas d’églises de paix en Yougoslavie.
D’après lui, s’il y en avait eu, moins de personnes dans ce
pays auraient pris les armes. Plus de personnes auraient pu appliquer les
principes de “défense civile” et les militaires
n’auraient pas eu la partie si facile. A la dernière question de
l’interview posée par Anita Thomas, quel était son plus
grand souhait, il répondit : “Un Puidoux permanent, ou un concile
de paix auquel participent toutes les Eglises”.
Quand les ennemis deviennent des
amis
Comment mettre en pratique toutes ces
théories ? Un autre centretien, également entre deux
générations, a tenté de répondre à cette
question,, entre Pascal Gentner, fils d’un volontaire EIRENE et
lui-même ancien volontaire aux Etats-Unis et Hildegard Goss Mayr, qui
avec son mari Jean Goss a parcouru le monde et appelé à la
non-violence et à la réconciliation en des lieux où ces
termes semblaient être dépourvus de sens.
Hildegard Goss Mayr sait de par sa
propre expérience qu’il faut passer soi-même par une
conversion. Il lui semble important aussi de tenir compte des “signes du
temps”, par exemple d’analyser la montée des dictatures et
d’en tirer un enseignement pour sa propre action. D’après
elle, la non-violence a été ces dernières 50 années
un instrument décisif dans la lutte contre l’injustice. Les preuves
ne manquent pas : c’est par la non-violence que le “rideau de
fer” est tombé, et cela a marché aussi en Amérique du
Sud et aux Philippines. “Nous avons fait un travail de fond avec les
personnes. Nous avons fait comprendre aux forces révolutionnaires le
besoin de la solidarité. La non-violence est une force de
réconciliation et de pardon”. Il ne suffit pas de combattre
l’injustice, il faut proposer des alternatives pour tranformer
progressivement les structures et constuire des relations de partenariat entre
des goupres ennemis. Hildegard Goss Mayr a plaidé pour des
“travailleurs de paix” compétents, présents sur les
territoires en guerre et capables d’intervenir ailleurs pour la
prévention de la violence. “Spiritualité et intervention
pratique vont toujours de pair”, disait-elle. Pourtant elle-même et
son mari ont reconnu leurs limites. “Quant on a fait tout ce qu’on
pouvait faire, il faut laisser le reste à Dieu”.
Table ronde
Les participants de la table ronde
venaient des horizons les plus divers : Hansulrich Gerber (MCC), Ulrich Duchrow
(Kairos Europa), Karel Eilers (Pax Christi International), Marie-Pierre Bovy
(Communauté de l’Arche, France), Janko Jekic (Baptiste, Pain de
Vie, Belgrade), Gyula Simonyi (BOKOR, une communauté de base en hongrie)
et Cor Keijzer (pasteur de l’église réformée à
Einschede, Pays-Bas) avec Christian Hohmann (secrétaire
général, Church & Peace) comme animateur. Bien que les autres
pays en guerre de notre monde n’étaient pas oubliés et on
été inclus dans les prières d’intercession pendant le
week-end, la guerre si proche en ex-Yougoslavie a été au coeur des
débats : Comment évaluer la situation aux Balkans et que
pouvons-nous faire ? Sommes-nous capables d’envoyer une déclaration
à nos gouvernements, nos églises et nos communautés ? Ce
sont les questions posées d’emblée par les
animateurs.
Marie-Pierre Bovy a rendu compte
d’un jeûne auquel ont participé des membres de sa
communauté durant 3 semaines, jusqu’au 3 juin, avec des temps de
prière matin et soir. Les objectifs de cette action sont à la fois
politiques et spirituels. Dans un communiqué de presse, la
Communauté de l’Arche a exprimé son regret que l’on
n’ait pas soutenu davantage le leader de l’opposition yougoslave
Rugova. Le problème crée durera encore longtemps.
Janko Jekic a rappelé la
création de Pain de vie. Tout a commencé en 1992 par l’aide
donnée à 10 femmes. Ces trois dernières années, 5000
familles ont été secourues d’une façon ou d’une
autre. Quand la guerre a éclaté au Kosovo, lePain de Vie a
apporté des secours pour les distribuer aux serbes et aux albanais en
prenant de gros risques. Mais depuis le début des frappes, tous les
contacts sont coupés. Il y a moins de moyens, les bombes n’ont pas
seulement touché des objectifs militaires, mais aussi des usines de
produits alimentaires et pharmaceutiques. Comme toujours pendant une guerre, il
est très difficile d’apprendre la vérité. Janko Jekic
rapporte des divergences ahurissantes dans les informations quand il compare par
exemple les nouvelles de CNN ou des radios allemandes, avec celles qui viennent
de Serbie.
Gyula Simonyi est membre du mouvement de
paix catholique romain BOKOR qui existe depuis 50 ans . Beaucoup de ses membres
ont été en prison. BOKOR élabore des programmes de
formation pour le travail en faveur de la paix et installe entre autres quelques
sites sur Internet pour faire connaître les idées de ce
mouvement.
Karl Eilers a raconté comment Pax
Christi est né, immédiatement après la 2me guerre mondiale,
comme un mouvement de laïcs, à l’intérieur de
l’Eglise catholique romaine pour la réconciliation entre
français et allemands, quelques choses d’inouï si peu de temps
après la guerre. Depuis, Pax Christi travaille non seulement en Europe,
mais aussi en Amérique latine, en Afrique et en Asie. La branche
allemande de Pax Christi se bat actuellement pour obtenir une interruption des
frappes de l’OTAN, pour rendre possible un dialogue, car “les
frappes aériennes ne font qu’augmenter la
haine”.
Kairos Europe analyse les relations
économiques entre les pays du Nord et du Sud, de l’Ouest et de
l’Est, et recherche les origines de la violence. Ulrich Duchrow est
persuadé qu’en Yougoslavie aussi, les motifs économiques
sont déterminants dans les frappes aériennes. Par ailleurs, Kairos
travaille aussi à élaborer des propositions pour la sauvegarde de
la création. Le document Kairos Europe, bien connu maintenant, a
été traduit en 11 langues.
Il semble évident que
l’oeuvre de secours de MCC devrait être connue partout. Il faut
pourtant souligner que le succès du travail de MCC dépend de la
collaboration efficace avec les partenaires locaux dans les différents
lieux d’acitvité. Pendant le Symposium, des contacts ont
été pris. Le MCC a retiré ses collaborateurs de la Serbie
à cause des frappes, mais continue à travailler avec le Pain de
Vie, dit Hansulrich Gerber.
OTAN
Il y eut dans le public beaucoup de
réactions et de récits. Les réfugiés albanais du
Kosovo n’ont évidemment pas été oubliés. Une
des personnes présentes déclarait avoir “mangé le
pain et bu les larmes des albanais”. Elle a demandé aux groupes de
paix de se mettre en relation avec les organisations albanaises dans les
différents pays. “Nous devons essayer d’éviter au
Monténégro et en Macédoine ce qui est arrivé au
Kosovo”.
Ionei Popescu, un prêtre orthodoxe
de la Roumanie, limitrophe avec la Serbie, montre à quel point
l’OTAN joue avec le feu. “La Roumanie et la Serbie n’ont
jamais combattu l’une contre l’autre. L’OTAN survole
actuellement la Roumanie pour aller en Serbie. Beaucoup de roumains croient que
les frappes de l’OTAN sont une erreur. Lorsque Clinton était en
Roumanie, les roumains ont souhaité devenir membre de l’OTAN.
Maintenant ce pays manifeste contre l’OTAN. Les frappes sont aussi une
tragédie pour l’écologie. Dans les régions
frontalières, les plantes souffrent, les hommes se sentent mal, la
campagne toute entière a mauvaise mine. Les roumains voudraient bien
venir au secours des habitants de la Serbie”. Clemens Ronenfeld a fait
remarquer que l’OTAN, au départ neutre et médiateur, est
devenu une partie du conflit. Cela à l’appui de la nouvelle
doctrine de l’OTAN.
Lumière pour
d’autres
Pendant tout ce temps, les autres serbes
présents n’avaient fait qu’écouter, le soir
c’était à leur tour de prendre la parole et de
répondre aux questions. Janko Jekic a raconté que les Mennonites
ont apporté de l’aide dès le début de la crise. Alex
Schaub, parle de 240 albanais protestants kosovars dont on a perdu la trace.
40 d’entre eux auraient été signalés récemment
en Macédoine, mais on ne sait rien des autres.
Keith Clements (secrétaire
général de la Conférence des Eglises d’Europe, KEK)
était revenu de Belgrade samedi. Il a fait partie d’une
délégation de 3 personnes qui se sont entretenues avec le
président Milosevic et le négociateur russe Tschernomyrdin.
Parallèlement, dans le cadre d’une initiative diplomatique, un
petit groupe s’est rendu à Vienne et à Moscou “pour
maintenir le dialogue et l’approfondir de part et d’autre”.
Jasmina Tosic a commenté le rôle du Pain de Vie à Belgrade :
“Nous essayons d’être une lumière pour
l’humanité. En Proverbes 31, il est dit que nous devons ouvrir la
bouche pour ceux qui ne peuvent parler pour eux-mêmes. Nous apportons de
l’aide aux victimes de ceux qui veulent dominer. Nous donnons à
manger aux pauvres. J’ai aidé des personnes venues d’autres
régions et j’ai écouté leur histoire. Maintenant, il
me faut aussi secourir ma propre famille. Ma mère est malade, mon
père ne supporte pas toute cette injustice. Mon frère va
peut-être se faire mobiliser... Et pendant ce temps, les albanais sont
pourchassés en tous sens, c’est terrible. Quant à
l’avenir, je ne sais que dire. Ce que j’aimerais le plus,
c’est l’arrêt immédiat des frappes de
l’OTAN”.
Le geste de Marie-Noëlle von der
Recke, présidente de Church & Peace, pendant le culte de dimanche
était à la fois émouvant et lourd de sens : En silence,
elle posa une écharpe de soie sur les épaules des serbes. En signe
de consolation, de compassion, en souvenir d’un Symposium qui a
démontré plus que jamais auparavant que la paix ne peut être
obtenue par la violence.
Ruth Winsemius
Traduction : Louise
Nussbaumer
Déclaration issue du carrefour
:
“Notre responsabilité
commune dans une Europe en évolution -Comment répondre à la
guerre, au génocide et aux expulsions dans les Balkans
?”
L’après midi du 29 mai
1999, pendant le symposium célébrant le cinquantenaire de Church
& Peace, se tenait un carrefour sur le thème “Notre
responsabilité commune dans une Europe en évolution -Comment
répondre à la guerre, au génocide et aux expulsions dans
les Balkans ?” . Ruth Winsemius en a fait un rapport dans l’article
qui précède. Pour faire connaître les résultats de ce
carrefour, les modérateurs Cor Keijzer et Christian Hohmann avaient
préparé un communiqué de presse qui fut bien reçu
par la majorité des 80 personnes présentes. Cependant, le
processus nécessaire de révision empêcha la publication du
document immédiatement après le symposium. Voici un
résumé des points principaux de la discussion.
Déclaration
Voici trois conclusions des discussions :
1. Beaucoup de nos pays d’origines
sont en situation de guerre. Sans déclaration officielle de guerre, les
forces de l’OTAN ont lancé une offensive au Kosovo dans une
situation de crise et où se pratiquaient les atrocités et le
nettoyage ethnique, une offensive qui a contribué à
accélérer le génocide déjà en
cours.
- Nous, qui venons de pays dont la
plupart font partie de l’OTAN, portons une part de responsabilité
dans cette situation.
- En tant que chrétiens, nous ne
pouvons justifier aucune forme de guerre. Aussi nous ne voulons pas
atténuer le sérieux de l’offensive militaire de l’OTAN
en l’appelant une “intervention humanitaire”.
Aujourd’hui, plus que jamais, nous sommes appelés à
proclamer l’Evangile.
Le premier aspect de cette Bonne
Nouvelle, c’est le refus clair de la guerre et de tout ce qui conduit
à la guerre : l’injustice, l’expulsion, la discrimination
envers les minorités ethniques et le génocide. Mais nous sommes
aussi appelés à soutenir toutes les initiatives qui vont dans le
sens de la paix, comme par exemple l’action des nombreux groupes en faveur
de la paix et de la réconciliation en ex-Yougoslavie qui ont
travaillé depuis des années pour une meilleure entente dans ce
pays, et dans d’autres régions en crise.
2. Lors d’une guerre, il est
crucial de voir et de rapporter la vérité, surtout en ce qui
concerne le type d’informations que chaque partie tend à manipuler
en temps de conflit. Aussi nos initiatives chrétiennes pour la paix
doivent chercher à rétablir la vérité, car
c’est la première étape vers une désescalade du
conflit et vers la paix.
- Nos efforts en tant que membres et
amis de Church & Peace consistent à aider à établir la
vérité en permettant à tous ceux qui sont affectés
par la guerre de faire entendre leur voix.
- Une analyse de la situation courante
par des personnes indépendantes comme les observateurs de l’OCDE,
ou par des membres de groupes pour la paix indépendants, afin de
connaïtre la vérité et la complexité de la situation
globale, est nécessaire. Le chemin vers l’établissement de
la vérité est l’action réconciliatrice de Dieu
décrite dans les Evangiles.
- Il n’y a pas de
réconciliation sans vérité, ainsi que le montre
l’exemple de l’Afrique du Sud et les efforts de la Commission
Justice et Vérité.
- Nous déplorons que les
informations de la presse soient si partisanes. Il n’est pas vrai, ainsi
qu’on l’entend, que dans une telle situation il n’y ait de
choix qu’entre continuer le bombardement ou être des observateurs
passifs.
- En outre, les informations de la
presse donne l’impression que le Kosovo est le seul endroit où le
génocide et les expulsions se produisent. La presse ignore largement des
situations semblables comme au Kurdistan, au Soudan, en Afrique Centrale, en
Angola, en Indonésie et ailleurs encore ...
3. Nous appelons les politiciens
à renforcer leur soutien envers les groupes qui travaillent à
réduire et à résoudre les conflits
ethniques.
Nous leur demandons une plus grande
volonté pour libérer des ressources financières en faveur
du développement de la résolution non-violente des conflits. Il
semble beaucoup plus facile de dépenser les fonds publics pour des bombes
que pour la reconstruction indispensable suite à toute guerre en faveur
de la population affectée par les combats et les
expulsions.
Nous demandons la reconnaissance de ceux
qui ont été objecteurs de conscience ou déserteurs,
refusant d’obéir aux ordres d’un gouvernement inhumain. Nous
demandons que l’asile et le statut de résident temporaire soit
garantis dans les pays de l’OTAN à tous
ceux-là.
trad sgp
“Aimez la vérité et la paix”
5O ans c’est long ! Mais certains
d’entre nous peuvent quand même se souvenir de 1949.
J’étais un petit garçon à cette
époque-là, et je dois confesser que je ne me souviens pas que la
naissance de Church & Peace (ni d'ailleurs de celle de l’OTAN !) ait
marqué mon esprit d’enfant. Mais un autre événement
l’a marqué. Cette année-là, mes parents
m’emmenèrent, moi et mes frères, en vacances chez ma
grand-mère à Londres. Un soir, les membres plus âgés
de la famille commencèrent à parler de la guerre qui avait pris
fin quatre ans plus tôt : le bombardement de Londres, les maisons de cette
rue qui avaient été détruites, les bâtiments tout
proches qui avaient brûlé pendant des jours, la peur qui montait
à l’approche de la nuit... Ce soir-là, je suis allé
au lit assez effrayé. Quelques jours plus tard, j’ai posé
à mon père une question qui m’avait taraudé :
“Papa, combien de temps est-ce ça dure une guerre?” Je
m’attendais à ce qu’il réponde quelque chose comme
“trois semaines”, ce qui pour moi, à l’époque,
semblait déjà très long. J’ai eu du mal à le
croire quand il m’a répondu :”Et bien celle-ci a duré
environ six ans”. Ce jour-là j’ai découvert une
nouvelle vérité sur le monde dans lequel j’étais
né.
Il y a juste cinq semaines, je me
trouvais au centre de Belgrade à la nuit tombée, et je regardais
les missiles antiaérien qui tournoyaient dans le ciel nocturne, et
j’entendais le son des missiles qui explosaient. Le jour
révéla des ponts détruits, des bâtiments
éventrés, des volutes de fumées provenant des raffineries
de pétrole en train de brûler. J’ai eu l’impression
d’être de nouveau un petit garçon. Est-ce que cela arrivait
vraiment aujourd’hui au coeur de l’Europe ? Ce dont mes parents et
ma grand-mère avaient parlé ? Ce que les livres sur la guerre et
les films de ma jeunesse m’avaient montré ? Il faudrait encore
mentionner les horribles histoires racontées par les
réfugiés fuyant le Kosovo. Une partie de moi ne pouvait
l’accepter. Mais une autre disait “oui, c’est comme cela
qu’est le monde”...
La vérité et la paix. Trop
souvent, nous nous nous sentons poussés à les dresser l’une
contre l’autre. Comment admettre la réalité du monde, et
pourtant croire qu’il devrait être en paix ? C’est le
défi auquel est confronté un mouvement comme Church & Peace,
spécialement au moment de la célébration de son
50ème anniversaire. J’espère que c’est aussi un
défi auquel toutes les églises se sentent confrontées,
surtout les églises d”Europe. La réalité face aux
idéaux; les expériences douloureuses face aux visions; les
royaumes de ce monde d’un côté et le royaume de Dieu de
l’autre... Il semble que nous ne puissions sortir de ce dilemme. Bien
sûr, nous pouvons y échapper, au moins de deux façons.
L’une est de se mette du côté de ce qui semble être la
réalité: il ne fait pas bon vivre dans ce monde, “faisons
contre mauvaise fortune bon coeur”, choisissons le moindre mal, allons
faire la guerre à contre-coeur si nous arrivons à trouver
suffisamment de raisons de la déclarer “juste”. L’autre
façon est de s’en tenir à nos idéaux, nos espoirs et
nos visions de paix en restant dans un monde de rêve douillet et
confortable, mais en évitant le dur contact avec le monde tel qu’il
est, et en blâmant ce monde parce que ne nous suivant pas, il se retrouve
dans des situations désastreuses.
L’Eglise chrétienne,
cependant, ne peut choisir aucune de ces portes de sortie si elle veut rester
fidèle à ses principes fondamentaux. Notre foi est une foi
incarnée. La parole est devenue chair. Dieu lui-même
s’est fait matière dans ce monde qu’il a lui-même
créé, afin d’y apporter la vraie vie. Comme
Irénée le dit au 2ème siècle, “Il est devenu
ce que nous sommes, afin que nous puissions devenir ce qu’il est”.
Quand nous parlons de vérité, cette vérité-là
est le fondement pour nous, chrétiens. Le poète T.S. Elliot
l’exprimait bien quand il écrivait que :”Les êtres
humains ne peuvent pas supporter la réalité à trop forte
dose”. Mais si l’incarnation est pour nous la vérité
fondamentale, nous ne devrions pas avoir peur de faire face aux
réalités les plus laides de notre monde.
“Aimez la vérité et
la paix”. Alors, nous ne sommes pas obligés de les dresser
l’une contre l’autre. La vérité est une condition
préalable à la paix. L’Afrique du Sud en donne un exemple
remarquable par l’établissement des “Commissions
Vérité et Réconciliation”, présidées
par l’archevêque Desmond Tutu. L’expression de la
vérité fait partie du processus de paix. Il faut que la
vérité soit dite pour qu’il y ait un réel espoir de
paix pour l’avenir. Il faut que les blessures et les plaies soient
exposées pour qu’elles puissent guérir, que les
péchés soient confessés pour qu’il puisse y avoir
pardon et réconciliation. C’est facile à dire. Le vivre peut
être douloureux et coûteux - et cela prend du temps. La
dernière fois que j’étais en Afrique, c’était
il y a trois ans, pour le “International Bonhoeffer congress”
à Cape Town. Beaucoup avaient trouvé inspiration et ressources
dans leur lutte contre l’apartheid dans le témoignage de Dietrich
Bonhoeffer contre le nazisme. Nombreux aussi sont ceux en Afrique du Sud qui
continuent à trouver pertinente sa pensée dans la nouvelle
situation de travail pour la réconciliation, une réconciliation
qui doit être fondée sur la vérité, ce qui demande la
confession de la culpabilité. Pendant une de ces réunions,
j’ai fait la connaissance de deux personnes qui découvraient quel
était le prix de la confrontation à la vérité.
L’un d’entre eux était un jeune pasteur luthérien
noir; Quand il était enfant, sa famille avait fait partie des victimes
d’un nettoyage ethnique du Transvaal et avait été
abandonnée dans le dit “homeland de Bophutatswana” dans des
conditions de misère incroyable. L’autre était un Afrikander
du même âge, originaire du Transvaal, et d’un milieu
très privilégié. Il se détachait peu à peu
de son éducation protégée dans l’Eglise
Réformée Hollandaise. Il m’a dit que ses yeux avaient
commencé à s’ouvrir à la réalité de ce
qui se passait dans son pays, quand, aspirant pasteur dans cette église,
on lui dit qu’il ne pourrait être ordonné avant d’avoir
fait son service militaire. Ainsi se retrouvaient deux jeunes hommes , tous les
deux instruits, de bonne volonté, montrant leur intérêt
théologique commun par leur assistance à ce Congrès : on
aurait pu s’attendre à ce qu’ils se rapprochent
immédiatement.
Mais non. Chacun à son tour me
raconta sa conversation avec l’autre. Comme le ton avait vite monté
des deux côtés... Le luthérien noir voulait savoir comment
il était possible qu’un blanc ignore ce qui était
arrivé à son peuple. “Est-ce que vos parents ne le savaient
pas ? Est-ce qu’ils voulaient le savoir ?” Le réformé
hollandais blanc, lui, était blessé de ce qu’aucune
explication, aucune excuse ne semble être suffisante. La colère
engendre la frustration en retour. Mais ils continuèrent leur
échange. Ils quittèrent le congrès en ayant fait les
premiers pas pour devenir amis, tout en réalisant qu’il leur
restait encore beaucoup à apprendre l’un de l’autre. Aussi
ils avaient décidé de se voir les jours suivants. Cela prend du
temps, c’est douloureux, de dire la vérité et de la
recevoir.
Nous pourrions dire la même chose
plus près de chez nous. Quand notre groupe de trois personnes partit de
Genève pour Belgrade il y a cinq semaines, l’objectif principal de
notre visite était de rencontrer les responsables des églises sur
place, en particulier ceux de l’église serbe orthodoxe, pour
échanger nos points de vue et nos compréhensions du conflit -
surtout concernant ce qui se passait au Kosovo. C’était un exercice
de dialogue oecuménique. Si, ainsi que Dietrich Boenhoffer nous
l’avait enseigné, il existait ce qu’il appelait “la
grâce à bon marché”, il existait aussi un
oecuménisme à bon marché, qui ne coûte rien. Dans les
cercles occidentaux, des allégations sur la position de
l’église serbe orthodoxe en particulier avaient été
faites. Il est alors assez tentant de choisir une des deux approches.
L’une est de lancer des critiques de loin, un peu comme les missiles de
croisière. L’autre est de flatter l’église en question
et dire “tout est très bien, nous sommes tous de bons
chrétiens finalement”. Aucune de ces deux approches ne coûte
quoi que ce soit. Elles représentent des formes
d’oecuménisme à bon marché. Il est cependant beaucoup
plus difficile d’avoir une rencontre honnête et personnelle, de
risquer de mettre l’église devant ce que vous percevez comme la
vérité, et de risquer à son tour le même traitement.
C’est un oecuménisme coûteux. Et, en ce qui me concerne,
j’espère que la CEC sera toujours identifiée à cette
forme-là.
C’est pourquoi il nous faut bien
entendre ce que dit notre texte : “aimez la vérité et
la paix” : pas seulement les chercher ou y travailler, ou essayer de les
établir, mais les aimer. Quand la bible hébraïque fut
traduite en grec, dans la version connue comme la Septante, pour
“amour”, les traducteurs ont utilisé le mot grec
agape, l’amour qui se donne pour le bien de l’autre. Ce
n’est pas l’amour qui trouve simplement l’autre attirant ou
émouvant, mais un amour qui est prêt à s’exercer
quelqu’en soit le prix, pour le bien de l’autre. On voit par dessus
tout cet amour dans la vie et la mort de Jésus. Aimez la
vérité et la paix de cette façon, aimez les toutes les deux
ainsi. Nous pouvons même aller plus loin. L’amour de Jésus
est un amour qui s’identifie complètement avec l’autre :
Jésus porte nos infirmités et nos maladies, il est mis au nombre
des pécheurs. Ou, ainsi que le dit l’apôtre Paul “celui
qui n’avait pas connu le péché, il l’a pour nous,
identifié au péché..” (2 corinthiens 5/21).
L’amour “agapé” est un amour qui fusionne avec
l’autre, et devient indissociable de l’autre. Nous devons prendre le
risque de devenir nous-mêmes vérité et paix. Il n’y a
pas d’autre chemin vers la vérité et la paix qu’un
engagement passionné qui “excuse tout, croit tout, espère
tout, endure tout” et conduit à la croix.
Cet été de 1999, nous en
Europe, sommes dans une situation d’échec. Les camps de fortune
d’Albanie et de Macédoine remplis de réfugiés, la
destruction de la Serbie, sont des témoignages de cet échec. Les
essais pour imposer sa volonté par la force et la domination, que ce soit
ceux de Milosevic ou de l’OTAN, se sont terminés dans les massacres
et l’anarchie. Les blessures sont très profondes et il leur faudra
de nombreuses années pour guérir. Mais, nous les chrétiens
artisans de paix ne pouvons pas nous contenter de montrer le monde du doigt et
de dire : “Nous vous l’avions bien dit. Vous auriez dû nous
écouter. Vous auriez dû agir comme nous le faisons.” Mais
qu’est-ce que nous faisons ? Qu’est-ce que nous nous attendions
à ce que le monde fasse quand il a devant lui des églises qui,
aussi bien à l’est qu’à l’ouest, se comportent
trop souvent comme des entités nationales et sont effectivement souvent
nationalistes ? Et, oserai-je le dire , n’est-ce pas un peu étrange
que si nous sommes vraiment des amis de la paix, il y ait tellement de groupes
de paix différents en Europe, chrétiens et non-chrétiens ?
Ne devrait-il pas y avoir la paix entre les différents mouvements de paix
d’Europe ?
“Aimez la vérité et
la paix”. Ces paroles prophétiques s’adressent à un
peuple qui vit encore avec un sentiment d’échec. Cela se passait
cinq siècles avant Jésus, alors que les exilés
étaient retournés à Jérusalem après leur
soixante dix ans de captivité à Babylone. Ils étaient
retournés dans la cité bien-aimée de leurs parents et
grand-parents. Elle était toujours en ruine, sinistre témoignage
de l’orgie de destruction de Babylone. On recommençait lentement
à reconstruire les murs, et poser les fondations du temple où se
trouvait jadis le magnifique édifice de Salomon. Mais, bien qu’ils
étaient de retour physiquement, beaucoup était encore mentalement
et émotionnellement en exil : ils se voyaient toujours comme un peuple
vaincu, et encore plus comme un peuple coupable. C’est dans ce contexte
que Zacharie prophétise.
C’est un peuple qui connait trop
bien l’opposition entre les grandes visions et les grands idéaux
d’un côté, et la cruelle réalité de
l’autre. Ils ont ramené avec eux les écrits des grands
prophètes qui avaient prêché avant et pendant l’exil.
Il y a la grande vision d’Esaïe : “Il arrivera dans
l’avenir que la montagne de la Maison du Seigneur sera établie au
sommet des montagnes et dominera sur les collines... Des peuples nombreux se
mettront en marche et diront : Venez, montons à la montagne du
Seigneur...Il sera juge entre les nations...Martelant leurs épées,
ils en feront des socs, de leurs lances ils feront des serpes. On ne brandira
plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus
à se battre.” (Esaïe 2). Et le peuple enroule les rouleaux,
et regarde le mont Sion qui leur semble une bien modeste colline, couverte de
mauvaises herbes et d’orties. Il y a aussi le magnifique sermon du
prophète que nous appelons le second Esaïe et qui prêchait
pendant l’exil à propos d’un nouvel exode, un retour à
travers un désert miraculeusement transformé et où chaque
vallée serait élevée, et chaque montagne abaissée,
et la gloire du Seigneur révélée à toute
l’humanité... Et le peuple entendait cette lecture, et regardait
ceux qui venaient de retourner d’exil s’effondrer de fatigue parmi
les ruines. Et cette merveilleuse image dessinée par Ezéchiel,
d’une eau donnant la vie jaillissant du nouveau temple, et
débordant vers l’ouest pour revivifier toute la création,
même la Mer Morte et le désert. Et tout ce qu’il y a à
voir c’est la tranchée boueuse laissée par les ouvriers qui
sont retournés chez eux, parce qu’ils n’étaient plus
payés (réminiscence de Harare pour certains d’entre nous!)
.Et tout autour, les voisins hostiles ne veulent pas voir une seule pierre
replacée sur les murs de la ville. C’est encore le temps des
épées comme celui des charrues...
La vérité ne semble pas
très attirante, la paix inaccessible. Les paroles de Zacharie prennent
tout leur sens dans la façon dont il fait face à cette situation.
Il croit ce que les prophètes ont annoncé concernant un nouvel
âge de paix et de gloire pour Jérusalem et pour le monde. Mais il
connaissait aussi les dures réalités auxquelles étaient
confronté le peuple. Et la vision qu’il reçoit est celle
d’un projet qui est à la fois conforme à cet espoir et
réalisable pour le peuple qui est là maintenant... C’est
pour cela que ces paroles “Aimez la vérité et la
paix”, ont un sens pour nous aujourd’hui.
Derrière les paroles de Zacharie,
et le long discours qu’elles résument, se trouvent deux
idées que nous pouvons nous approprier aujourd’hui. Je vais les
appeler Liturgie et Proximité.
Liturgie ! c’est un thème
rarement abordé chez les pacifistes. Et l’étude de la
liturgie encore moins. Un évêque catholique romain me racontait
cette plaisanterie : “quelle est la différence entre un liturgiste
et un terroriste ?” Réponse : “vous pouvez discuter avec un
terroriste!”. Mais nous ne devrions pas être si surpris de
l’interêt liturgique de Zacharie. Bien qu’il n’ait pas
été prêtre lui-même, il vient d’un milieu de
prêtres et suivait de près la reconstruction du temple. Et une des
choses que nous, occidentaux modernes, risquons toujours d’oublier,
c’est l’importance des rites et de la liturgie. Ils sont les moyens
symboliques par lesquels nous exprimons et affirmons ce que nous
considérons comme vraiment important dans la vie. Il semble que Zacharie
ait été approché par un groupe de gens qui voulaient savoir
s’ils devaient continuer à observer le jeûne du
cinquième mois chaque année, comme un temps de deuil et
d’abstinence. C’était une question importante car le
jeûne du cinquième mois se pratiquait en commémoration de la
destruction du temple et de Jérusalem, et avait été
observé par les juifs pieux pendant toute la durée de
l’exil. Après leur retour, certains continuaient à
l’observer. La réponse de Zacharie consiste d’abord à
leur poser une question à son tour : “Pour qui avez vous
pratiqué ce jeûne toutes ces années ? Pour Dieu, ou pour
vous-même, comme vous mangiez et buviez pour vous mêmes ? Et il leur
rappela ce que les anciens prophètes avaient décrit comme
étant la vraie obéissance à Dieu: “Prononcez des
jugements véridiques et que chacun use de loyauté et de
miséricorde à l’égard de son frère. La veuve
et l’orphelin, l’émigré et le pauvre, ne les exploitez
pas; que personne de vous, ne prémédite de faire du mal à
son frère”. (Zach 9-10). C’est parce qu’ils
n’avaient pas observé toutes ces choses que le désastre
avait frappé la génération précédente. Elles
doivent de nouveau être notre priorité.
Le jeûne du cinquième mois
doit être poursuivi dit Zacharie- poursuivi mais transformé. Ce ne
doit plus être une commémoration de la destruction, mais une
célébration du nouveau commencement voulu par Dieu avec son
peuple. Aussi, le jeûne du quatrième, du septième et du
dixième mois “deviendront pour la maison de Juda, des jours
d’allégresse, de réjouissance, de joyeuse fête.
Mais aimez la vérité et la justice. Dieu fait les choses
nouvelles : il pourvoit avec générosité. Il sème la
paix, le vin coulera, la pluie tombera,on récoltera une abondante
moisson. La participation du peuple est d’aimer la vérité et
la paix dans leurs relations les uns avec les autres.
La liturgie traite de la façon
dont nous incarnons et traduisons en symboles nos transformations par
grâce: la transformation de la défaite en victoire, de
l’esclavage en liberté, de la culpabilité en pardon, du
conflit en réconciliation, de la mort en nouvelle vie. La liturgie
devrait nous donner un avant-goût de la fin. La Cène,
l’Eucharistie, c’est un avant-goût de la grande fête qui
se déroulera quand, venant de l’est et de l’ouest, du nord et
du sud, les peuples s’assieront ensemble dans le royaume de Dieu. Mais une
liturgie qui ne nous donnerait qu’un avant-goût de la fin, sans nous
aider dans nos luttes et nos maladies présentes, ne tiendrait pas compte
de notre condition humaine et de la façon dont la grâce est
à l’oeuvre. Une vraie liturgie de la paix devrait nous aider
à exprimer à la fois l’authenticité de nos conflits
actuels, la souffrance et la colère, et le désir amer de
vengeance, comme dans les psaumes. Ils nous faut exprimer ouvertement ces
sentiments et les offrir à Dieu qui sait quoi en faire. Zacharie ne
méprise pas l’observation du jeûne en tant que tel. Il
était bon et sain que le deuil soit observé pour le temple et la
ville détruits et pour toutes ces années d’exil. Il y a un
temps pour le deuil. Mais justement parce qu’il a été
observé, il peut maintenant y avoir un temps pour la fête. Mais
aimez la vérité et la paix. Travailler à des liturgies
de vérité et de paix est une tâche pour les églises
d’aujourd’hui.
Maintenant la
proximité.
Zacharie nous dépeint une
nouvelle Jérusalem belle et très humaine : une ville dans laquelle
les rues sont remplies de gens âgés assis avec leur canne, et
d’enfants qui jouent. C’est une communauté d’abondance
partagée et de sécurité, où chacun dit la
vérité lors des jugements aux portes de la ville, et où les
jugements apportent la paix. C’est pratique et concret. Mais ne pourrions
nous pas penser que c’est une image plutôt simpliste ? Qu’est
devenue la grande vision prophétique et universelle de paix sur la terre
entière ? Cette vision où le loup se couche avec l’agneau,
où la terre est remplie de la connaissance du Seigneur comme les eaux
couvrent la mer ...En fait, Zacharie a conservé cette vision. Il donne un
aperçu de la façon dont elle va commencer à se
réaliser. Jérusalem, dit-il peut être une telle merveille
que les peuples de toutes les nations voudront venir la voir et y adorer Dieu.
Jérusalem devient une ville locale à la signification universelle.
Ainsi Zacharie rapproche sa grande vision et la réalité du monde.
Il n’a pas une grande stratégie à imposer au monde entier.
Il a l’image de sa propre communauté, mais qui peut alors attirer
le reste du monde. Une lumière pour éclairer les
gentils.
Un des lieux les plus bouleversant que
j’ai visité, au moment de la fin de la tragique guerre civile du
Liban, c’était la communauté de Chouifat à Beyrouth.
C’était un grand bâtiment construit juste sur la dite ligne
verte entre les secteurs est et ouest de cette ville amèrement
divisée. Ses habitants refusaient, et de fuir les bombardements , et de
laisser leur maison être transformée en fortifications par
l’un et l’autre parti. Ils dirent “Vous ne pourrez pas nous
faire déménager, vous ne pourrez pas nous diviser, nous restons
ensemble”. Et ils restèrent. Avec l’aide du conseil des
Eglises du Proche Orient, ils obtinrent de nouvelles réserves
d’eau; ils gardèrent leur clinique ouverte, ils
développèrent leurs propres sources de revenu. ils
s’assurèrent qu’une aire de jeu était toujours
dégagée, sans détritus ni mines. C’est pour moi une
parabole pour notre temps.
“Aimez la vérité et
la paix”. Aujourd’hui, nous ressentons fortement le besoin que ces
mots puissent s’appliquer au niveau mondial. Et effectivement nous avons
beaucoup à faire au niveau mondial et international; et beaucoup de
questions à poser concernant la crise du Kosovo : au sujet du rôle
des Nations Unies, des vraies intentions de l’OTAN, du rôle de
l’industrie de l’armement, de l’ordre économique
mondial.
Mais ne serait-ce pas maintenant le
temps de s’attacher, de beaucoup plus prêt que nous ne
l’avions fait auparavant, à la pratique de la vérité
et de la paix au niveau local ? C’est une chose de dénoncer
l’exploitation des différences ethniques par des politiciens peu
scrupuleux. Mais pourquoi les communautés locales sont-elles
été une proie si facile ? Est-ce que les vraies questions ne
concernent pas l’avenir de la paix ? Comment les communautés
locales pourraient être consolidées pour leur permettre de faire
face et de résister à ceux qui voudraient, dans leur soif de
pouvoir, les diviser et les exploiter ? Comment pourrions-nous aider les
communautés locales à rester unies, à devenir
économiquement et culturellement capables de résister aux
manipulations extérieures et à l’exploitation ? Du Kosovo
jusqu’en Irlande du Nord ? Du Rwanda jusqu’au Sri Lanka
?
Pour arriver à un nouvel ordre
mondial , nous devrions être préparés à penser et
à agir plus localement dans notre travail d’artisan de paix. Nous
devrions oser demander à certaines communautés en Europe :
qu’est-ce qui pourrait inciter le reste du monde à les remarquer,
à avoir envie de venir et de découvrir ce qui leur permet de vivre
ensemble ? C’est dans l’amour de la vérité et de la
paix dans la communauté locale qu’une vision universelle se
projette sur la réalité contemporaine.
La vérité et la paix vont
ensemble, quand elles sont vraiment aimées, aimées avec la passion
de l’Esprit, le propre amour de Dieu. T.S. Elliot, qui avait dit que les
êtres humains ne peuvent pas supporter la réalité à
trop forte dose”, a peint l’amour transformateur de la
Pentecôte dans le même cycle de poèmes :
La colombe en descendant coupe
l'air
De flammes d'incandescentes
terreurs
Toutes les langues
déclarent
La libération des
pêchés et des erreurs.
Le seul espoir, ou bien
désespoir,
Réside dans le choix entre le
bûcher et le bûcher -
Etre sauvé du feu par le
feu.
Mais aimez la vérité et la
paix.
Traduction : Sylvie Gudin
Poupaert
(The dove descending breaks the air/With
flame of incandescent terror/Of which the tongues declare/The one discharge from
sin and error./The only hope, or else despair/Lies in the choice of pyre or pyre
- /To be redeemed from fire by fire)