MÉDAILLONS
1
J’étais un éléphant
très pauvre et humble
buvant de l’eau bien fraîche et sage
dans la jungle,
et de ma trompe, du haut d’une dune,
je caressais le soleil et la lune
et leur tendais des arbres à manger,
serpent, silex et cérambycidés, –
l’âme en homme changée, j’ai
perdu ciel, soleil,
je m’évente avec d’horribles
oreilles –
(Georges Timár)
2
Grain de poussière sur la lumière
Rampe dans les rosées;
Ma main rapproche mainte anicroche
De mes grègues usées.
Petit porcher, sans se moucher
Baise en pleurant de peine
Son porcelet – ensorcelé? –
Devenu porcelaine –
Le ciel s’enfume, de verte écume
Qui rougit et se plombe;
La chansonnette d’une sonnette
Au lac plombé retombe;
Dans une lasse planche de glace
La fleur laiteuse est blonde;
Sur une feuille que le vent cueille
S’est détaché le monde –
(André Prudhommeaux)
3
Le pêcheur de sangsues trotte en trottinant,
Le pauvre porcher s’étonne en s’étonnant,
Sur l’étang, le héron plane
en planant,
Et la bouse de vache fume en fumant –
La pomme se balance au-dessus de moi.
Le ver en la rongeant pénètre dans
son cœur,
Et de sa lucarne, il peut tout observer.
Ce chant fut une fleur, une fleur de pommier –
(Tristan Tzara)
4
Es-tu la mousse en fleur du lait sucré,
Es-tu le bruit dans la nuit qui s’éteint,
Ou le couteau sous la flaque d’étain,
Ou le bouton en passe de tomber?
Dans le levain les pleurs de la servante.
Pas de baisers; cette maison prend feu.
Pour ton chemin, dépêche-toi un peu
–
Luisent des regards les flammes fumantes –
(Lucien Feuillade)
5
De jaspe et néanmoins patte de porc.
Sur un dieu en bois je suis installé.
Sur le lait je vois un deuil velouté.
Un quintal de poils pousse pour ma mort.
Comme les cieux encor frémit ma peau.
Du dos, tout passera dans ma bedaine.
Étoiles menues, entreront en scène,
Tout blancs, tout gras, les grouillants vermisseaux
–
(Lucien Feuillade)
6
Brille le lézard vert, pour mon destin.
Bruit le blé: la graine se libère.
Le lac me voit, quand le froisse la pierre
Et le nuage issu de mes chagrins.
L’aube des nuits suscitées par la
guerre,
Les jours furtifs, les étoiles tremblantes
Vont m’entourer. Ma tête incandescente
–
Est pour mon corps la chaleur coutumière
–
(Lucien Feuillade)
7
Seau sur le seuil, d’un fer qui bave, –
chéris la fille qui, les pieds nus, lave,
l’égout sur le carreau coule pour se
tasser,
l’écume sèche sur ses deux bras
retroussés –
me voilà cabossé dans l’écume
en fer blanc,
mais naîtront toujours de libres chants
qui prenant pour cheval la mer, feront claquer
les dents brillantes de chaque escalier –
(Timár György)
9
Je partage le lit avec mon ami,
aussi n’aurai-je de lys défraîchi,
je n’ai ni canon, ni flèche à
tirer,
j’ai envie, comme chacun, de tuer
et tandis que bruyamment bouillent les fèves,
vos yeux, ces légumes, voient comme en rêve
mes larges lèvres qui tremblent de fièvre,
des geais me nourrissent de leurs coléoptères
–
(Timár György)
10
Craque, ma barbe, et fuse, t’enroulant;
comme un rouleau herseur, sois traînée
par les champs –
dessus le ciel comme une nue sous lui
plane sans maître une cajolerie
et cette magie fraîche (il va venir, le temps)
se reposera sur ma barbe tendrement
pour goutter d’un fil roux jusqu’à
mon cor, de suite,
avec le bouquet des vins oeniliques –
(Timár György)
11
Vingt-et-trois rois prennent le jour
Couronnés de jade et de jaspe;
Ils dégustent du melon jaune,
La lune nouvelle jubile,
A leur main gauche.
Vingt-et-trois mômes qui traînaillent,
Leur béret panard sur l’oreille;
C’est des pastèques qu’ils mordillent
Le soleil nouveau flambe et grouille
A leur main droite.
(André Prudhommeaux)